Le monde a tellement changé que les jeunes se doivent de tout réinventer ! Pour Michel Serres, un nouvel humain est né, il le baptise " Petite Poucette ", notamment pour sa capacité à envoyer des messages avec son pouce.
Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux révolutions : le passage de l'oral à l'écrit, puis de l'écrit à l'imprimé. Comme chacune des précédentes, la troisième, - le passage aux nouvelles technologies - tout aussi majeure, s'accompagne de mutations politiques, sociales et cognitives. Ce sont des périodes de crises.
Devant ces métamorphoses, suspendons notre jugement. Ni progrès, ni catastrophe, ni bien ni mal, c'est la réalité et il faut faire avec. Petite Poucette va devoir réinventer une manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d'être et de connaître. mais il faut lui faire confiance !
« Je m'en allais dans les bois parce que je voulais vivre sans hâte. Vivre intensément, et sucer toute la moelle de la vie. Mettre en déroute tout ce qui n'était pas la vie pour ne pas découvrir, à l'heure de ma mort, que je n'avais pas vécu. » Walden. Nom mythique qui charrie avec lui tout un imaginaire : le Nouveau Monde et sa vie sauvage, exaltée, régénérante. Concord, Massachussetts, une cabane, des pins au bord d'un étang, le Transcendental Club, Emerson et le Rousseau américain : Henry David Thoreau. Un texte qui sonne comme une rupture, celle d'avec la société telle qu'elle va (ou plutôt ne va pas).
Ce livre, qui retrace les deux ans, deux mois et deux jours que Thoreau passa dans une cabane dans les bois, au bord de l'étang de Walden, n'est pourtant pas le livre d'un ermite. Ni essai ni journal, il relève plutôt du pamphlet : le contact avec la vie sauvage s'y dévoile comme une ressource politique privilégiée de subversion, de progressisme et de libération. Walden exalte le retrait du monde comme geste politique : se retirer du monde pour renouer, à distance de la loi commune et des valeurs en vigueur dans une société donnée, avec le coeur de l'âme humaine. Se retirer pour oser dénoncer, désobéir et, ce faisant, fonder un socle sain à la démocratie.
Comment dire la vie d'un milieu, cerner le sens d'un paysage ?
Dans ce texte inclassable de 1869, aussi sensible que scientifique, Élisée Reclus, fondateur de la géographie moderne, décline la vie d'un ruisseau, du glacier jusqu'au fleuve en passant par le torrent, puis les montagnes, les reliefs que ce fleuve dessine - car oui, ce sont bien le fleuve, l'érosion, l'eau qui dessinent les paysages, d'âge en âge.
Livre de vulgarisation, méditation poétique, Histoire d'un ruisseau invite ainsi à contempler la nature. Reclus n'en prône pas pour autant un retrait du monde qui serait celui d'un pur esthète : pour le géographe libertaire, théoricien de l'anarchisme et de la mésologie, le ruisseau fournit aussi et surtout un exemple de liberté, de bonheur immanent, qui ne peut qu'accorder crédit aux idées de progrès, d'inscription vertueuse au sein d'un milieu. L'homme devrait alors suivre son modèle : tracer joyeusement son chemin, tout en se montrant respectueux des abords et des berges dans lesquels il s'inscrit.
Ce petit manifeste, écrit sur un coup de sang par l'auteur de Petite Poucette en colère contre tous les Grands Papas Ronchons qui empêchent de regarder devant nous avec espoir, a été tout d'abord offert à tout acheteur de deux livres de poche de Michel Serres. Devant l'enthousiasme qu'il a suscité et les nombreuses demandes qui nous sont parvenues, nous avons décidé de le publier sous forme d'un tout petit livre :
« Dix Grands Papas Ronchons ne cessent de dire à Petite Poucette, chômeuse ou stagiaire qui paiera longtemps pour ces retraités : « C'était mieux avant ». Or, cela tombe bien, avant, justement, j'y étais. Je peux dresser un bilan d'expert.
Qui commence ainsi : avant, nous gouvernaient Franco, Hitler, Mussolini, Staline, Mao... rien que des braves gens ; avant, guerres et crimes d'état laissèrent derrière eux des dizaines de millions de morts.
Longue, la suite de ces réjouissances vous édifiera ».
Michel Serres
Depuis novembre, la Terre compte 8 milliards d'êtres humains. Et forcément, au moment où les Nations unis ont publié ce chiffre, ont ressurgi les débats traditionnels sur les liens entre démographie et ressources naturelles. À ces discussions Frédéric Spinhirny et Nathanaël Wallenhorst prennent part au travers de ce manifeste joyeux, destiné en particulier aux « personnes en âge de procréer », afin de remettre en cause le discours néomalthusien selon lequel notre salut dépendrait d'une réduction drastique des naissances.
À contre-courant du récit pessimiste ambiant, mais loin de tout discours nataliste, ils démontrent que, dans la comptabilité propre aux mesures de réduction de notre empreinte carbone, les enfants prennent une part quasi nulle. Alors oui, quelque chose ne tourne pas rond dans notre monde, mais il serait injuste d'en rendre responsables les générations à venir.
Ne quittons pas le combat en nous retirant du monde ! Ce n'est qu'en relation avec ceux qui feront celui de demain que nous pourrons combattre efficacement le modèle de production dominant et refonder nos relations au vivant.
Réchauffement climatique, espèces menacées, océan de plastique... de tous côtés, on s'alerte, on s'alarme, on s'affole. Et on fait bien : après des années de controverses, la communauté scientifique, unanime, exprime son inquiétude.
Malheureusement, avec le psittacisme dont les médias sont coutumiers, les mauvaises nouvelles sont répétées ad nauseam et l'envie d'agir s'émousse, qui tend à céder la place à un catastrophisme angoissant. Car si nous fonçons dans le mur, pourquoi changer quoi que ce soit ? Au passage sont escamotés les succès, grands ou petits, obtenus par la volonté militante, citoyenne ou politique.
Pour désamorcer le pouvoir ankylosant des perspectives d'effondrement, Sophie Chabanel fait le choix de parler de réussites significatives, incontestables et encourageantes. Les énergies renouvelables gagnent du terrain plus vite que prévu, la législation sur les composants dangereux ne cesse de se durcir, la qualité de l'air s'améliore... Autant de bonnes nouvelles de la planète, glanées auprès de chercheurs, de grands spécialistes ou de membres de la société civile, et qui redonnent de l'espoir. Si l'avenir paraît sombre, de nombreux résultats montrent qu'il dépend encore de nous !
" Pour chanter les vingt ans du Pommier, mon éditrice me demanda d'écrire quelques lignes. Les voici. Pour une fois, j'y entre en morale, comme en terre nouvelle et inconnue, sur la pointe des pieds. On disait jadis de l'Arlequin de mes rêves, bienheureux comédien de l'art, qu'il corrigeait les moeurs en riant. Devenu arrière-grand-père, son disciple a, de même, le devoir sacré de raconter des histoires à ses petits descendants en leur enseignant à faire des grimaces narquoises.
Parvenus ensemble à l'âge espiègle, j'en profite pour leur dire de l'austère en pouffant de rire. " Michel Serres
Chaque jour, 300 milliards de mails sont échangés, un iPhone est consulté en moyenne toutes les 12 minutes et le citoyen lambda passe onze heures devant un écran. Ce n'est pas une surprise : nos rythmes de vie s'affolent. Nos activités frénétiques mal régulées déséquilibrent des humains de plus en plus impatients, fatigués ou débordés. Une lassitude semble dire stop : on ne peut plus tenir le rythme. Au travail ou à la maison, au milieu des urgences immédiates, comment trouver un tempo à soi ?
Répétition, cadence et périodicité : nos gestes numériques et sociaux sont à repenser. Les rythmes imposés ne conviennent pas à tout le monde : chacun devrait pouvoir marcher à son rythme.
Aliocha Wald Lasowski relit avec nous quelques grands philosophes (Nietzsche, Sartre, Camus, Deleuze...), mais aussi des poètes (Yves Bonnefoy, Édouard Glissant...), et puise dans leurs oeuvres des leçons de rythme. Pour que la contrainte commune devienne une dynamique personnelle, pour que les vitesses assourdissantes se changent en mélodies apaisantes, à chacun de trouver son rythme, ses variations, son sens du déphasage et de l'improvisation, pour une meilleure réinvention de soi.
À Bar-le-Duc, depuis des siècles, les « épépineuses » prélèvent à la plume d'oie les pépins des groseilles dont on fait la confiture des rois. Ailleurs, sur le parvis d'une église tournoie un danseur de hip-hop. Ailleurs encore, un père s'inquiète du geste qui percera la narine de son ado, tandis qu'un aveugle croisé dans un train caresse les sourcils de son chien. M. Foucauld, lui, lève la main vers le ciel - vers quoi ? - en souvenir du petit Paul. Ziquet tombe du toit et, dans un réflexe inespéré, pivote et se réceptionne tel un chat.
Ces gestes qui se passent de mots, qu'ont-ils de plus beau que les mots ? Et que dire des gestes de l'amour ? Du dernier geste adressé à un défunt ? De la violence, parfois, des gestes qui sauvent ?
De récit en récit, Yves Bichet compose un tableau pointilliste dont il ressort un seul récit : celui d'un ancien maçon-couvreur devenu écrivain pour qui « la vérité de tous ces gestes n'est évidente que si la défaite se profile, que si la fatigue ou la faute sont là, menaçantes, en embuscade »...
Communément célébré pour sa parole lumineuse, Michel Serres a été souvent critiqué pour la complexité de ses livres, notamment les premiers. Paru en 1992, Éclaircissements s'était donné pour mission de rendre le travail du philosophe transparent et limpide. La discussion menée par Bruno Latour, qu'il connaissait bien, a permis à Michel Serres de s'exprimer librement et sincèrement tout en simplifiant son propos. Un dialogue amical mais sans concession où l'on apprend beaucoup sur sa formation intellectuelle (la guerre, les sciences renouvelées), sur les enjeux de ses livres et le dessein global d'une oeuvre qui, à ce moment, n'en était encore qu'au premier tiers : 24 livres sur 80 ! Michel Serres explicite les raisons de son passage des sciences à la philosophie, sa position singulière, construite sur la remise en cause du progrès des sciences devant Hiroshima et la responsabilité scientifique : « J'ai été formé intellectuellement par les révolutions intérieures à la science, et philosophiquement par le rapport de la science à la violence. » Pour construire l'avenir, notamment celui de la cohabitation des hommes et de la nature, il insiste sur l'importance du droit, du récit, incarnation nécessaire, de la beauté de la langue, qu'il cultive, ou celle de la pluridisciplinarité, qu'il prônera activement. Avec le recul, on est étonné de voir à quel point il était lucide sur l'état du monde et sur ce qui nous attendait.
Tout enseignant connaît ce moment où les élèves sont si attentifs que leurs yeux s'illuminent. Un moment où le contact entre esprits devient palpable. À l'inverse, il connaît aussi le sentiment de parler dans le vide. Ses efforts restent sans écho, rien ne répond. Enseignement et apprentissage ne sont en effet possibles que lorsque l'école devient un espace de résonance. Inversement, ils échouent là où les interactions restent muettes. Mais comment l'école peut-elle devenir cet espace ? Hartmut Rosa, le penseur de la résonance - concept qu'il a introduit pour répondre à l'accélération contemporaine -, s'interroge ici sur ce qui se passe quand, selon son expression, « la classe crépite ». En répondant aux questions de Wolfgang Endres, un pédagogue de profession, il expose concrètement en quoi pourrait consister une pédagogie de la résonance. Compétence, performance et résonance, relation de confiance, humour, retours d'expérience réciproque, « emmétamorphose »... Autant de pistes qui nourriront la réflexion des enseignants désireux de repenser les processus d'apprentissage, mais aussi de toute personne dans la situation d'apprendre quelque chose à quelqu'un - donc tous les parents !
On part en exil pour fuir la guerre, la famine, des conflits politiques ou familiaux ; on part en voyage pour découvrir le vaste monde, changer d'horizon. Mais pourquoi revient-on ? Qu'est-ce qui pousse Ulysse à abandonner Calypso et à retourner à Ithaque ? Pourquoi l'explorateur du bout du monde rentre-t-il chez lui ? Pourquoi le colonel Chabert est-il de retour, alors qu'il sait qu'il sera probablement méconnu et déjà remplacé ? Pourquoi quitter l'extraordinaire, l'aventure, le dépaysement ?
Du désir de retour, les livres parlent peu. En français, d'ailleurs, il y a des mots pour désigner celui qui part (le voyageur, l'aventurier, l'exilé), non celui qui revient. Revenant ? Trop spectral. Rapatrié ? Celui-là n'a pas le choix du retour. Quant au « rescapé », ses épreuves passées intéressent plus que l'épreuve de son retour. Pourquoi ce manque, qui est le signe d'un impensé fondamental ?
C'est à cette question que Céline Flécheux tente d'apporter des réponses. En s'appuyant sur de nombreux exemples tirés de la culture commune, de Homère au Nietzsche de l'éternel retour en passant par la parabole du fils prodigue et ses réinterprétations picturales, elle montre que revenir chez soi, c'est d'abord faire l'épreuve d'un retour à la vie normale. Mais pourquoi retrouver l'existence quotidienne et consentir à la banalité ? Sans doute parce que revenir dans l'espace, c'est un peu revenir dans le temps...
La crise énergétique, doublant à présent la crise environnementale liée à l'exploitation des ressources fossiles, a rendu la sobriété inévitable.
L'idée, pourtant, n'est pas neuve : de l'éthique personnelle promue par les épicuriens ou les stoïciens à la « sobriété heureuse » de Pierre Rabhi, en passant par la tempérance comme vertu théologale chrétienne, l'histoire de la sobriété plonge loin ses racines dans les sociétés de subsistance. Mais qu'en est-il dans nos sociétés d'abondance récente désormais sous contrainte écologique ?
Pour Bruno Villalba, il manque encore à la sobriété de devenir politique. Quelles seraient les conditions de cette politisation ? Quels en seraient les effets autres que le seul rationnement ? Et comment, en ce cas, les politiques de sobriété ne nous conduiraient-elles pas à réexaminer à nouveaux frais un certain nombre de concepts-clés de la démocratie représentative, comme la justice sociale et l'égalité ?
En réalité, loin de consister simplement en l'élargissement d'une éthique personnelle, une politique de sobriété impliquerait de réviser en profondeur les conditions de bien-être de notre société matérialiste, hédoniste et pluraliste. Sommes-nous réellement prêts à renoncer à un imaginaire de l'abondance et à adapter notre liberté aux limites planétaires ?
Jean-Henri Fabre, ce « grand savant qui pense en philosophe, voit en artiste, sent et s'exprime en poète » (Jean Rostand), a consigné la vie rêvée des hyménoptères et des coléoptères dans des Souvenirs entomologiques, somme de plusieurs milliers de pages dont les meilleures sont rassemblées dans la présente édition.
Chef-d'oeuvre de vulgarisation, ces Souvenirs mêlent observation minutieuse, recherche de terrain et expérience scientifique à des réflexions d'ordre plus philosophique et à des souvenirs personnels. D'étranges personnages y sont mis en scène, et l'on s'y attache : cigale victime des préjugés de la fable, sphex languedocien solitaire, scarabée sacré... Rien ne manque : joies de la découverte, drames de la vie.
Où l'on verra aussi que Jean-Henri Fabre, en instituteur de la IIIe République rompu aux leçons de choses, a indéniablement creusé le sillon d'une connaissance sensible du vivant.
Choix de textes et présentation par Henri Gourdin
Dans cet essai fondateur, d'une actualité brûlante plus de 30 ans après sa première parution, Michel Serres définit les concepts d'une philosophie universelle de l'écologie.
A partir du constat de l'impact des activités humaines sur l'équilibre global de la planète, qui atteste que l'humanité est devenue équipotente à un Etre-Monde, le philosophe démontre l'irruption du Monde comme acteur majeur de l'Histoire. L'état de violence "sans limite" entre l'Homme et le Monde appelle l'élaboration d'un nouveau droit, à fonder sur un Contrat naturel qui complèterait le Contrat social établi entre les hommes.
30 ans après sa parution, l'ouvrage n'a rien perdu de son caractère visionnaire. On n'a même jamais eu autant besoin de le relire...
Et si on cessait d'opposer fin du mois et fin du monde ?
C'est du moins l'intuition de Damien Deville, qui a mené l'enquête et s'est rendu dans l'un de ces territoires de la France périurbaine, précaire et délaissée, à mille lieues du flux des mégapoles.
Alès, capitale des Cévennes. Pays qui fut longtemps celui des hommes noirs (les mineurs), des hommes du feu (la chaudronnerie) et des femmes du fil (le textile), dont les mains avaient tant à raconter. Mais aujourd'hui, les industries ont fermé. Quel nouveau récit pour dire la vie des habitants de la commune aujourd'hui ?
On peut le rechercher sans doute du côté des jardins potagers qui prolifèrent et qui, pour les anciennes populations ouvrières, sont une façon de retour à la terre. Là, chacun plante, bêche ; tout le monde échange outils, semences et savoir-faire. Si bien qu'à la motivation économique, forcément première, viennent se mêler des préoccupations d'ordre social, écologique ou paysager...
Mettant au jour une écologie de la précarité, Damien Deville souligne ainsi comment de simples lopins de terre sont devenus de vrais lieux d'émancipation et permettent de repenser (et de vivre) la liberté différemment. Partant, il ébauche le modèle ce que pourrait être une société si elle était jardinière.
Vous êtes-vous déjà demandé ce qui, dans la vie, vous a le plus émerveillé ? C'est la question qu'aime à poser Marie Rouanet à ceux qu'elles croisent, gens de peu ou d'ailleurs, voisins, amis ou inconnus. Avec ces courts textes, qui empruntent à la nouvelle, au poème en prose et au verset, l'auteur de Nous les filles et de Luxueuse Austérité nous invite à bien soupeser un coupe-papier, à regarder danser une araignée funambule, à parcourir l'iris des chats comme autant de cartes de marine, à accueillir le soleil de l'été dans la transparence des doigts, à conférer à un coquillage la dignité d'une porcelaine... Un parcours initiatique qui nous mène de l'Amazonie aux déserts, de l'orée des sous-bois au pas de la porte. Marie Rouanet livre ici la quintessence de son art, une écriture pure et acérée, simple et profonde. L'émerveillement ? « C'est un jour comme les autres. Et tout d'un coup, en regardant une chose, en permanence sous nos yeux (voir, ce n'est pas regarder), enfin on découvre son originalité, sa beauté méconnue, son mystère. Et le bonheur balaie en nous tout ce qui pèse. »
« Voici sans doute mon dernier livre. Il varie sur les deux origines du mot religion, l'une probable, l'autre usuelle : relire et relier. Il ne cesse, en effet, de relire les textes sacrés tout en cheminant le long des mille et une voies qui tissent le réseau global de nos vies, de nos actes, de nos pensées, de nos cultures. En cela, il conclut quelques décennies d'efforts consacrés à lier toutes opérations de synthèse.
À l'âge analytique - celui des divisions, décompositions, destructions, y compris celle de notre planète - succède celui de la synthèse et de la reconstruction. Nos problèmes contemporains ne peuvent trouver que des solutions globales.
Comment ne point finir par le religieux, dont on dit qu'il relie, selon un axe vertical, le ciel à la terre, et, horizontalement, les hommes entre eux ? ».
Michel Serres
C'est le paradoxe du siècle : nous savons que la catastrophe écologique est là, pourtant rien ne se passe. Pourquoi la science et la politique peinent-elles à mobiliser ? Perçues comme des blocs spécialisés, elles restent hermétiques à la société civile. Pour y remédier, les auteurs de ce manifeste proposent d'emprunter une voie inusitée : l'écologie culturelle. Inscrite dans notre roman national (La Fontaine, Rousseau, George Sand, Michelet...), l'écologie est loin d'être une nouveauté. Trop souvent négligées, son histoire, ses dimensions psychologique et artistique sont pourtant la clé : l'éducation à l'écologie devrait s'imposer comme une priorité. Tel est le pari de ce manifeste : approprions-nous l'écologie par la culture, ciment de la société, rendons compte de son inscription dans notre passé, situons-la dans une continuité et non dans une rupture anxiogène, et rompons avec une approche trop technicienne pour prendre en compte la dimension sensible et empathique de l'humain.
Le Bronx, 1945. Par une moite après-midi d'août, un gamin dont la famille a fui le nazisme écoute la radio. Surgit la voix du président Truman : une seule bombe, « atomique », a rasé Hiroshima. « Le plus grand succès de la science organisée de toute l'histoire. » De cet événement, le petit garçon retiendra notamment la photo d'une absence?: un homme retiré de son ombre par la déflagration. Adulte, le gamin deviendra physicien : ancien directeur de laboratoire au CNRS, Harry Bernas est aujourd'hui un scientifique reconnu dans le domaine des nanosciences, et son histoire n'a cessé de croiser celle de la science nucléaire. Jusqu'à Fukushima. Fruit d'un programme nucléaire ayant occulté les risques d'un tsunami pourtant documentés, le drame de 2011 a agi comme un révélateur de la cécité volontaire des hommes sur les conséquences de leurs choix techniques et sociaux. Dans ce captivant récit qui entremêle souvenirs personnels et réflexions scientifiques, Harry Bernas tente de comprendre d'où vient cet aveuglement délibéré. Lucidement, mais sans aucun fatalisme, il met au jour comment, du projet Manhattan aux réacteurs GEN-IV en passant par la politique « Atomes pour la paix » d'Eisenhower, on en est venu à modifier insensiblement la finalité même de la science, dont l'objet ne consiste plus à connaître le monde, mais à la rendre perméable au pouvoir. Ou comment Newton et Einstein ont été supplantés par Jeff Bezos et Elon Musk. Nous pensions vivre paisiblement sur l'île au Bonheur. En japonais, « île au Bonheur » se dit Fukushima... Traduction de Nancy Huston
Sur la D 911, à 15 kilomètres au nord du viaduc de Millau et à 40 kilomètres au sud du musée Soulages de Rodez, un village : Saint-Léons. Dans l'une de ses maisonnettes, le 21 décembre 1823, naquit Jean-Henri Fabre, le célèbre entomologiste, l'instituteur par excellence de la IIIe République, le scientifique préféré des poètes, le poète préféré des scientifiques.
À l'occasion de son bicentenaire, cette nouvelle biographie revient sur son long parcours et le compare aux carrières de Pasteur et Darwin, deux contemporains capitaux. Si Fabre ne fut pas le chercheur irréprochable campé par ses premiers biographes, ses faiblesses, notamment son opposition à l'évolutionnisme, n'enlèvent rien à sa passion communicative de l'insecte en particulier, de la nature plus généralement.
Son énergie, son indépendance de pensée et d'opinion, son mépris des honneurs, sa sobriété, sa simplicité, sa vie frugale au pied du Ventoux, sa générosité, sa tendresse pour les enfants, ses qualités de pédagogue, son opposition farouche au « progrès hostile à la nature, qui en déforme la beauté »... à toutes ces qualités, Henri Gourdin rend justice. Ressuscitant un Fabre familier et attachant, il narre avec verve, anecdotes et textes à l'appui, la vie de « l'inimitable observateur » (Charles Darwin).
Algérie, années 1950. Mokhtar grandit à l'ombre du figuier de son douar, contre lequel son grand-père Kouider aime s'adosser pour faire la sieste. Aussi vieux que le grandpère, peut-être plus, le figuier est un membre à part entière de la famille, prodiguant ses fruits deux fois l'an et une sève dont on fait des cataplasmes. Mais un jour, Moussa, le père, part avec femme et enfants vivre à la ville. Là, Mokhtar découvre la mer et ses poissons, le cinéma Lux, le hammam, les premières lectures et surtout l'écriture. Quand, un soir où il fait ses devoirs, sa mère lui trace maladroitement dans la paume les huit lettres de leur nom, il comprend qu'à ces lettres il faudra en ajouter beaucoup d'autres...
À hauteur d'enfant, Abdelkader Djemaï nous restitue l'Algérie à la veille de l'indépendance. Ses pages sentent l'encens et le benjoin qui se consument sur le kanoun ; la lumière y est celle des murs blanchis à la chaux et des paysages parcourus par un bus jaune de la compagnie L'Hirondelle. Non loin s'étend la ferme de Manhès, le Pied-noir dont la femme Martine arbore de belles toilettes. Et plus loin encore, mais à l'approche : le bourdonnement des hélicoptères et la danse des convois militaires...
La nature, George Sand la connaît bien : elle gère de main de maître les 250 hectares de son cher domaine de Nohant, jardine trois à quatre heures par jour avec une « passion d'abrutie », selon ses propres mots, herborise, dans le Berry, à Toulon, dans les Alpes, constitue avec son fils Maurice un herbier fantastique... Sa curiosité s'étend même aux oiseaux, aux papillons, aux fossiles. Qu'elle conteste certaines classifications de son temps, et la postérité lui donnera souvent raison.
Sa plus belle preuve d'amour pour la nature ? Une série de textes qu'elle écrit pour la protection des forêts, et notamment celle de Fontainebleau. Dans une tribune parue dans le journal Le Temps en 1872, elle pose le problème de la déforestation dans les termes actuels de l'écologie politique.
Si, en 1830, elle défendit la cause des femmes, en 1848, la République, son dernier combat, en 1872, sera en faveur de la nature. Écoféministe, George Sand le fut bien avant l'heure. C'est cet aspect de son oeuvre que Gilles Clément et Patrick Scheyder se proposent de faire découvrir dans ce recueil de ses textes les plus importants consacrés à la nature.