"Les partis sont un merveilleux mécanisme par la vertu duquel, dans toute l'étendue d'un pays, pas un esprit ne donne son attention à l'effort de discerner, dans les affaires publiques, le bien, la justice, la vérité.
Si on confiait au diable l'organisation de la vie publique, il ne pourrait rien imaginer de plus ingénieux." Simone Weil
Nous ne parlons pas ici d'un art tranquille et pacifique, qui aime la probité et la modération. Cette grande, cette glorieuse éloquence est la fille de la licence, que les sots appellent liberté, la compagne des séditions, l'aiguillon d'un peuple sans frein ; incapable d'obéissance ou de sérieux, opiniâtre, téméraire, arrogante, ce n'est pas dans une société régie par une bonne constitution qu'elle peut prendre naissance. (Tacite)
- Vous êtes le degré zéro de l'évolution ! trancha Filipp Filippovitch. Une créature en formation, à l'intellect sous-développé, aux comportements bestiaux ! Et, avec une odieuse impertinence, vous prétendez donner à des universitaires des leçons d'ordre cosmique, d'une bêtise encore plus cosmique, sur le partage ! Alors que vous en êtes encore à manger du dentifrice !
- Et ce pas plus tard qu'avant-hier, précisa Bormenthal.
Coeur de chien est l'un des six romans laissés par Mikhaïl Boulgakov (1891-1940). Farce anticommuniste virulente teintée de fantastique, le texte valut à son auteur de sérieux ennuis avec la censure, et ne parut en U.R.S.S. que plusieurs décennies après sa mort.
Aux commandes d'un petit vapeur, le capitaine Davidson parcourt les recoins les plus obscurs de l'archipel malais, qu'il connait mieux que personne. Réputé pour son intégrité et sa gentillesse, il se voit un jour confier une tournée des plus petits établissements de l'île de Célèbes, pour y collecter de vieux dollars d'argent qui doivent bientôt cesser d'avoir cours.
Une mission parfaitement ordinaire, que l'intervention d'un Français sans mains, flanqué de trois acolytes peu recommandables, va transformer en aventure dangereuse...
Figure incontournable du Paris littéraire de l'entre-deux-guerres, compagne de Sylvia Beach et proche amie de James Joyce, Adrienne Monnier fut également l'auteur de plusieurs brèves nouvelles, dont Vierges folles est sans doute la plus marquante. Chronique de l'existence farouchement indépendante d'une petite bande de jeunes femmes, Vierges folles nous donne à voir la pauvreté, les amours malheureuses, les espoirs déçus - toujours vaincus par une irrépressible envie de vivre.
Quelques mois après la défaite de juin 1940, Joseph Bridet, journaliste, est à Lyon, où il se demande de quelle façon rejoindre de Gaulle à Londres. Toutes ses tentatives se sont avérées vaines, et son épouse, qui ne cache pas ses sympathies pour l'occupant, souhaite désormais regagner Paris.
Non sans naïveté, Bridet finit par se rendre à Vichy, où Paul Basson, l'un de ses anciens amis, travaille à la Direction générale de la Police nationale. Résolu à se faire passer pour un fervent pétainiste, il espère obtenir un visa pour l'Afrique du Nord, d'où il pourra rejoindre Londres facilement. Mais quel jeu joue son épouse, et qui est réellement Basson ?
Écrit en 1943, publié en 1945, Le Piège est l'un des derniers romans d'Emmanuel Bove (1898-1945).
Gide publie Paludes en 1895, alors qu'il est un jeune auteur de vingt-cinq ans. Il y place les écrivains qu'il fréquente à cette époque (Henri de Régnier, Pierre Louÿs), les Mardis de Mallarmé, auxquels il est assidu, et la femme dont il est amoureux depuis l'adolescence, sa cousine Madeleine Rondeaux, qu'il épousera quelques mois plus tard. L'écriture de ce bref ouvrage est aussi contemporaine de ses premières expériences homosexuelles ; les questionnements sur le conformisme et sur l'inévitable stérilité de sa relation à sa future épouse, le rêve inavouable d'une vie « différente » - c'est précisément en 1895 qu'Oscar Wilde, ami de Gide, est emprisonné pour « outrage aux moeurs » - donnent à la vivacité et à l'ironie de Paludes une profondeur et une gravité qu'on n'y soupçonnerait pas dès l'abord.
En 1919, la guerre civile fait rage en Russie ; au printemps, puis en octobre, peu s'en faut que les armées blanches, appuyées par les pays d'Europe occidentale, reprennent Saint-Pétersbourg, devenue Petrograd. Serge, qui vient de sortir d'une prison française, y arrive au début de l'année. Ville conquise est le récit romancé des mois terribles qu'il connaît alors. Rapidement, les conditions de vie dans Petrograd sont effroyables. Pénuries, famine, exécutions sommaires, menaces de grèves et de soulèvements matées par le mensonge ou dans le sang : dans une atmosphère d'apocalypse, les premiers signes du basculement du jeune régime soviétique vers le totalitarisme apparaissent - aux yeux de qui veut bien les voir.
Frank Saltram est un des plus brillants orateurs que l'Angleterre ait connu ; bien lancé, il peut tenir en haleine n'importe quel auditoire, sur n'importe quel sujet. A ses qualités, il joint malheureusement de nombreuses tares: il est mauvais mari, mauvais père, porté sur la boisson, et plus généralement indigne de toute confiance. Quand son talent est découvert par une petite coterie appartenant à la meilleure société londonienne, débutent les vraies difficultés : comment protéger cet oiseau rare de ses propres défauts, et comment le faire accéder à la notoriété qu'il mérite ? Le chemin de croix de ses bienfaiteurs sera long, et mènera certains d'entre eux bien plus loin qu'ils ne l'auraient souhaité... Paru en 1894, Le Fonds Coxon est l'une des plus célèbres nouvelles d'Henry James (1843-1915), ici dans une nouvelle traduction.
Inédit en français, le Portrait de Monsieur Podjabrine fait le récit des tribulations d'un séducteur infatigable. Epicurien de pacotille, Monsieur Podjabrine est d'une vanité et d'une superficialité qui le rendent presque touchant. Difficile de savoir s'il prend plus de plaisir à triompher auprès de demoiselles rarement farouches, qu'à narrer ses exploits à ses amis : reste qu'aucune de ces jouissances ne lui évite d'être proie autant que chasseur. Avec drôlerie et vivacité, Gontcharov, dix ans avant son chef-d'oeuvre Oblomov, dépeint le Saint-Pétersbourg des oisifs, des viveurs et des petits rentiers. Lucide, caustique, il s'abstient de toute complaisance, sans jamais céder à la tentation de moraliser.
Qu'il s'agisse des démêlés d'un trafiquant d'opium avec la prostituée dont il est amoureux, de la misère d'un orphelin à Téhéran ou des mesquineries sordides d'une mère maquerelle, le regard que pose Sadegh Tchoubak sur l'Iran de son époque conserve la même acuité et la même finesse.
Les trois nouvelles qui composent le présent recueil, écrites dans les années 1940, sont le portrait des bas-fonds d'un pays disparu. Religion et bigoterie sont partout, des salles de classe aux quartiers de prostitution, mais elles s'accommodent de moeurs très libres et, sans surprise, d'une violence impitoyable envers les faibles, les démunis - tous ceux pour qui la survie est une lutte chaque jour recommencée.
Romancier, nouvelliste et traducteur, Sadegh Tchoubak (1916-1998) fut une des figures marquantes de la vie littéraire iranienne du XXe siècle.
En novembre 1947, Artaud enregistre pour la Radiodiffusion française, une émission intitulée Pour en finir avec le jugement de dieu.
Le texte qu'il écrit pour l'occasion est lu par Roger Blin, Maria Casarès, Paule Thévenin et Artaud lui-même. L'auteur enregistre après coup un certain nombre de cris de diverses intensite´s, des bruitages, et improvise un accompagnement musical a` plusieurs de ses scansions au moyen d'instruments de percussion et de xylophones.
L'e´mission doit e^tre diffuse´e le 2 fe´vrier 1948. Alerte´ par la presse qui se re´jouit du scandale a` venir, Wladimir Porche´, directeur ge´ne´ral de la Radiodiffusion franc¸aise, interdit la diffusion au dernier moment, le 1er fe´vrier.
Malgré le soutien d'un comité de journalistes, d'artistes, d'e´crivains, de musiciens (parmi lesquels Max-Pol Fouchet, Raymond Queneau, Pierre Herbart, Roger Vitrac, Georges Ribemont-Dessaignes, Jean-Louis Barrault, Louis Jouvet, Jean Cocteau, Rene´ Clair, Paul E´luard, Jean Paulhan, Maurice Nadeau, Georges Auric, Rene´ Char, Adrienne Monnier...), l'émission n'est pas diffusée.
Le texte paraît quelques mois plus tard, au printemps 1948, à titre posthume, aux éditions K, dirigées par Alain Gheerbrant.
Avec le texte de l'émission, nous reproduisons le Théâtre de la Cruauté, des Lettres à propos de Pour en finir avec le jugement de dieu et les États préparatoires de Pour en finir avec le jugement de dieu.
Bûcheron d'une trentaine d'années, Guglielmo vient de perdre sa jeune épouse, mère de ses deux petites filles. Après avoir confié ses enfants à sa soeur, il achète à bon prix le droit de faire une coupe dans la forêt d'une lointaine vallée de montagne. Lui et l'équipe qu'il a recrutée ont devant eux plusieurs mois de labeur, qui les tiendront éloignés de leur foyer durant l'automne et l'hiver.
Pendant ces saisons que lui et ses hommes passeront isolés du reste du monde, Guglielmo va peu à peu découvrir, avec une gravité muette, l'étendue du courage et de la résignation qui lui seront nécessaires pour faire face au deuil qu'il doit porter.
Superbement traduit par Philippe Jaccottet, La Coupe de bois est sans doute l'un des textes les plus marquants de Carlo Cassola (1917-1987).
Né serf dans une petite ville de la Russie profonde, Ilya Charonov s'avère dès l'adolescence un peintre exceptionnel : son ardeur au travail, sa piété et ses prédispositions sont telles que son seigneur l'envoie faire son apprentissage à Rome. De retour en Russie après plusieurs années, Ilya trouve son seigneur marié à une jeune femme d'une beauté sans pareille, qui semble la seule à même de comprendre la portée de son talent. Il naît entre eux une passion contre laquelle il serait surhumain de lutter, et pourtant sans issue...
À l'âge de dix-neuf ans, Twain rencontre en rêve l'un des grands amours de sa vie. Pendant plus de quatre décennies, il retrouvera régulièrement, dans son sommeil, cette mystérieuse jeune femme que les changements de prénom et de physionomie n'empêchent aucunement de rester la même.
Les liens qui se nouent entre eux, dans toute leur évidence et leur simplicité, sont-ils moins réels que ceux que l'on construit à l'état de veille ?
Un jeune capitaine de vaisseau se voit attribuer son premier commandement : il s'agit de remplacer, dans un lointain port asiatique, le capitaine décédé d'un vaisseau mal en point. Cette nomination n'a rien d'une faveur ; tout est à faire, et Falk, personnalité locale bien connue, Hercule taciturne et mystérieux, va se mettre en travers de sa route pour des raisons incompréhensibles...
Cela concerne peut-être la ravissante nièce d'un capitaine allemand, et indirectement un naufrage antarctique, mais comment le savoir, et surtout qu'y faire ?
"M. Durant n'a aucun problème avec les femmes, qu'il ne dédaigne d'ailleurs pas de lorgner dans le tram. Son épouse, sa maîtresse et sa fille ont pour lui une égale considération. D'où peuvent donc lui venir tous les soucis qu'il a avec elles ?
M. Durant est un employé sans histoire et un citoyen modèle ; il serait bien étonnant qu'il y soit pour quoi que ce soit.
Dorothy Parker (1893-1967), figure emblématique du New York des années folles, se fit connaître par son humour acerbe et son sens de la formule. Journaliste, scénariste, militante anti-nazie et anti-ségrégation, elle s'abîma dans l'alcool et les mariages ratés, à l'instar d'autres membres de la « génération perdue ». Elle écrivit une cinquantaine de nouvelles, toutes aussi drôles qu'impitoyables."
Les soeurs Céline et Désirée Vatard, jeunes ouvrières, travaillent dans le même atelier. Céline, l'aînée, mène joyeuse vie et passe d'un amant à l'autre. Désirée, plus circonspecte, attend de rencontrer un prétendant sérieux pour se marier dans les règles.
Elle croit avoir trouvé l'élu en la personne d'Auguste, nouveau venu à l'atelier, tandis que Céline, lasse des voyous qui l'amusent mais lui font la vie dure, s'amourache d'un artiste issu d'un milieu plutôt bourgeois. Les amours des deux soeurs vont se retrouver rapidement contrariées...
Deuxième roman publié par Huysmans, Les Soeurs Vatard paraît en 1879.
On retrouve dans ce texte parfaitement maîtrisé l'incomparable expressivité de Huysmans, qui peint le petit peuple de Paris avec une âpreté et une acuité d'observation uniques.
À l'âge de 14 ans, Panaït Istrati, orphelin de père, est contraint de s'employer comme apprenti dans les docks de Braïla, sa ville natale, en Roumanie. Il y découvre l'égoïsme et la froideur de la classe dirigeante, mais aussi la férocité des travailleurs les uns envers les autres.
Écrit à l'époque de la grande désillusion que vécut Istrati après avoir visité l'URSS à la fin des années 20, Dans les docks de Braïla évoque l'espoir d'un changement, mais fait aussi le constat lucide de l'ignorance, du désespoir, d'un amoralisme calqué sur celui d'une élite corrompue.
Par une belle soirée d'été, un terrible incendie éclate chez le bon docteur Trescott, dans une petite ville de l'État de New York. Le feu prend au piège le jeune fils du docteur, mais Henry Johnson, le palefrenier noir de la maison, se rue courageusement dans le brasier et parvient à sauver le petit garçon. Son héroïsme lui coûtera cher: Johnson reste atrocement défiguré et à demi fou. Dans la petite ville, très vite, le héros d'hier n'est plus considéré que comme un monstre... Stephen Crane (1871-1900) est l'un des très grands écrivains de langue anglaise. Ami de Joseph Conrad et d'Henry James, il se fait un nom en publiant La Conquête du courage, en 1895. Épuisé par son métier de correspondant de guerre, il meurt de la tuberculose sans même avoir atteint sa trentième année.
Dans la Vienne du début du siècle, il n'est pas un bibliophile qui ne connaisse Jakob Mendel, catalogue vivant de l'ensemble du savoir imprimé. Monomaniaque à la mémoire prodigieuse, affreusement peu doué en affaires, il est affligé d'une boulimie bibliographique qui fait de lui un homme précieux. Perpétuellement installé à la table d'un café du vieux Vienne dont il a fait son quartier général, il délivre ses expertises érudites à tous les amateurs ou spécialistes qui ont le bon sens de venir le consulter.
La Première Guerre mondiale va mettre sens dessus dessous l'univers de Mendel, et le précipiter brutalement dans le monde des vivants, dont il n'a jamais rien appris.
« Louis Hémon a écrit plusieurs livres remarquables [...], mais je crois bien que Monsieur Ripois et la Némésis fut le chef-d'oeuvre de ce Français mélancolique et vadrouilleur qui se suicida bizarrement en marchant entre les rails à la rencontre d'un train en pleine campagne, au Canada. » (François Truffaut) Roman à consonance autobiographique, Monsieur Ripois et la Némésis est le portrait d'un jeune français égaré à Londres, séducteur sans scrupules dont la vie se chargera de briser le cynisme. Écrit en 1911, publié en 1950 seulement, il est le roman le plus noir et le plus personnel de son auteur.
Louis Hémon (1880-1913), écrivain inconnu de son vivant, accéda à la célébrité post-mortem avec la publication de Maria Chapdelaine.
Peu avant la révolution de 1905, Iakov Sofronytch est serveur dans l'un des restaurants les plus huppés de Moscou.
Préposé aux plaisirs de financiers véreux, de fonctionnaires vaniteux, de négociants grossiers et tapageurs, il travaille à s'en épuiser pour faire vivre sa famille. Mais sa fille, pensionnaire dans une école privée, ne rêve que de flirts avec des officiers et de robes aussi élégantes que celles de ses camarades, et son fils, moins frivole mais plus exalté, se met à fréquenter des révolutionnaires qu'en ces temps troublés la police politique pourchasse impitoyablement...
Ivan Chmeliov (né en 1873) accède à la notoriété en publiant Garçon ! en 1911. D'abord favorable à la révolution de 1917, il se réfugie en France en 1923 après que les bolcheviks ont fusillé son fils. Il meurt à Paris en 1950.
A la fin du XIXe siècle, dans la Russie tsariste, un jeune fonctionnaire qui se rêve écrivain part en mission pour quelques mois dans une région reculée, aux confins de l'Ukraine. Ses rapports avec les paysans et petits fonctionnaires du cru sont difficiles, et les semaines passent dans un ennui pesant. S'égarant en forêt au cours d'une chasse, il fait par hasard la rencontre d'une énigmatique jeune femme, qui vit avec sa mère dans une maison isolée ; elles y ont été reléguées après que les villageois s'en sont violemment pris à elles, les accusant de sorcellerie...
Récit à consonance autobiographique, La Sorcière Olessia parut en 1898 ; c'est une des nouvelles les plus célèbres d'Alexandre Kouprine (1870-1938), alors jeune écrivain dont Tchékhov avait fait l'un de ses plus proches amis.