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gérard macé
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«Je n'écris plus, mais je guette le moment propice, dans une atmosphère mentale à la merci des sautes d'humeur et des coups de vent. Je fais des noeuds à des cordelettes, qui me servent d'aide-mémoire et d'alphabet. Je jette un filet sur les choses, pour les protéger de l'orage et du néant. J'amortis les chocs avec le réel. Je compare, et j'allume des lampes dans le grand bal des métaphores. Je finis par noter des phrases que je sais par coeur, pour passer aux suivantes.» Dans Silhouette parlante, vers et prose alternent, envers et endroit d'une même songerie, pour recueillir les bribes que le rêve ou le souvenir veulent bien donner à l'écriture difficile à naître de celui qui «n'écrit plus». L'imaginaire rencontre la féerie, effrayante parfois comme dans les contes, et les objets, tessons du passé, se frottent aux citations fragmentaires, tessons de la bibliothèque. De l'impossibilité d'écrire toujours à l'évocation de la mort, de plus en plus pressante, le livre revient à l'enfance pour s'achever en apnée, «poche d'air sous l'avalanche».
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«Tout le monde pense, les poètes aussi. On ne s'en aperçoit pas toujours, parce qu'on préfère les voir en rossignols ou en oiseaux lyres, distraits plutôt que pensifs. Ou en êtres irrationnels, en proie à une fureur dangereuse pour la Cité, ce qui conduisit Platon à les bannir de sa République. Et pourtant. Comment ne pas penser quand la mémoire et le langage sont en jeu, quand tout l'être soutenu par le rythme est à la recherche du mot juste, afin de piéger une vérité qui se dérobe ? Mais la pensée des poètes exerce un charme, et l'on se méfie de ce qui ensorcèle, on n'aime guère être séduit quand on voudrait que règnent les idées. La poésie pense en images, elle s'empare d'objets imprévus ou réputés futiles. Elle aime les surprises plutôt que la théorie, la sensualité plutôt que l'abstraction, et c'est souvent après coup que le poète découvre ce qu'il avait à dire. » Vingt-trois grands poètes, de Charles Baudelaire à Jacques Réda, peuplent cette anthologie conçue par un vingt-quatrième d'entre eux.
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Vies antérieures : les trois coffrets
Gérard Macé
- GALLIMARD
- L'imaginaire
- 20 Octobre 2022
- 9782072999482
«C'est grâce à un nom de femme, aussi mystérieux que les lettres effacées d'un alphabet ancien, aussi difficile à retenir qu'une langue apprise et jamais parlée, que m'est revenu non le souvenir d'un rêve, mais le souvenir d'avoir rêvé.»Gérard Macé réunit ici deux de ses ouvrages et compose ainsi un bel autoportrait, vu à travers mille vies.Le premier livre, Vies antérieures, nous porte à la rencontre de personnages célèbres et d'inconnus. L'occasion de s'arrêter un moment avec le scribe égyptien, le vitrier de Baudelaire, le poète persan Tarafa, Clérambault le maître déçu de Lacan, un Henri Michaux fantômatique ou Clelia Marchi qui écrivait sa vie sur un linceul...Les trois coffrets, ensuite, nous invite dans l'intimité de l'auteur. On y suit, entre prose et poésie, le destin d'une jeune femme morte à Rome et de Crepereia Tryphaena, la poupée sculptée retrouvée dans son sarcophage. Une aventure «archéologique» qui nous conduit à l'histoire d'un traumatisme, lié au père de «l'écrivain colporteur».
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Pierre Clastres et les Indiens Guayakis, qui mangent leurs morts et connaissent donc le vrai goût de l'homme ; Marcel Griaule qui croit rencontrer Hésiode en Afrique, et cueillir le récit des origines sur les lèvres d'un vieillard aveugle ; Georges Dumézil et les peuples de l'Antiquité, dont les histoires et les croyances sont parvenues jusqu'à nous grâce aux textes, comme dans une migration des âmes qui aurait laissé des traces ; l'Éthiopie enfin, qui a gardé de son histoire des archives qui sont parmi les plus vieilles de l'humanité : ces expériences sont l'occasion de revisiter le musée de l'homme dont chacun d'entre nous est le fondateur et le gardien, mêlant ses souvenirs personnels à ceux des voyageurs et des peuples disparus, à la merci d'une mémoire qui refait sans cesse l'inventaire...
Un musée où les morts se mettent à parler, où les vivants échangent leurs rôles et leurs masques, redisent les anciennes légendes en les interprétant, relancent l'imaginaire en s'inventant des origines, comme de vieux enfants parfois trop crédules.
Ce qui permet de vérifier qu'il existe une autre communauté que celle du sol ou du sens - la communauté des hommes qui se souviennent des mêmes récits.
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« L'un des plus beaux livres écrits sur Rome. Une Rome suspendue entre le clair et l'obscur, le ciel et les ruines, les enfers et l'au-delà : une ville de fontaines et de foudre, de fleuve et d'incendie, de fables et d'artifices ; cité du théâtre et de l'illusion, élémentaire comme Isis, tragique comme Borromini, abyssale comme Piranese... Et l'érudition est voilée comme chez Nerval, c'est une érudition qui joue, invente jusqu'au délire, tire des feux d'artifice, pâlit avec les couleurs et les reflets de la nacre, avant de s'éteindre dans la mélancolie. » Pietro Citati.
Avec des photographies N&B de Ferrante Ferranti.
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«Bibliothèque tournante : ce titre m'est venu à l'esprit en pensant au meuble qui s'appelle ainsi, mais plus encore à l'analogie avec la porte à tambour. Du même coup, j'avais devant les yeux l'image d'une bibliothèque ouverte sur le monde, où l'on entre et d'où l'on sort librement. Qui tourne sur elle-même, pour s'ouvrir sur un autre réel, d'autres curiosités, et des vies qu'on soupçonnait à peine. » - G. M.
«Rassembler en un volume des entretiens, c'est transformer des mots de circonstance en livre pour dessiner rétrospectivement un parcours : les entretiens cessent alors d'escorter la parution d'un livre pour esquisser une trajectoire, donner à lire des inflexions et des continuités, apprécier une oeuvre en mouvement, avec ses accords et ses basses continues. Et par leur juxtaposition, les entretiens deviennent un livre supplémentaire qui s'ajoute aux précédents, mais sans les surplomber : s'invente là un autre régime de la parole littéraire, entre la spontanéité de la conversation et la recherche de l'écrit, entre la réponse vive aux injonctions du présent et le temps de la réflexion. Les livres de Gérard Macé sont déjà tout entiers dans cette alliance entre la souplesse de l'oralité et l'érudition livresque, les souvenirs des patois de l'enfance et la conquête de la bibliothèque. » - Laurent Demanze -
« Minuscule et vaste comme le monde, le jardin de ma mère était posé sur sa table à ouvrage. [...] C'est grâce à cet objet, en apparence insignifiant, que le Japon associé aux jardins est entré dans mon imaginaire ».
Ainsi commence Ce monde qui ressemble au monde, traité merveilleux des jardins de Kyoto où Gérard Macé déploie, avec le style et l'élégance d'un acteur du Nô, le bel éventail des émotions allant de l'enfance à la promenade et de la photographie à l'érudition.
On apprend dans ce livre comme on rêve. Le détail magnifie le parcours. Tout est feuille d'érable ou mousses impériales, dessins sur la sable et vanité du monde.
Ce livre édité d'abord chez Marval, puis chez Gallimard et Au temps qu'il fait, est désormais un classique du Jardin Japonais.
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Bois dormant et autres poèmes en prose
Gérard Macé
- GALLIMARD
- Poesie Gallimard
- 17 Avril 2002
- 9782070423453
«La vie n'est pas simplement une question de destin, mais de passion. Retrouver la parole perdue, c'est se restituer une origine qui s'accorde à l'ordre du monde. [...] Bois dormant narre une exploration de soi en vue de répondre à l'injonction prononcée dans Le jardin des langues : "Videz-vous de la peur de la nuit". L'effroi de la mort n'a d'autre raison que l'ignorance de la naissance. On piétine dans les marais de la mémoire afin, momentanément, de remonter au commencement de soi, à l'origine de l'écriture, au point du jour.» Jean Roudaut. C'est en ce point du double éveil de l'être et du monde que se tient Gérard Macé. Aussi est-il, comme le suggérait Holderlin, l'un de ceux qui tentent «d'habiter poétiquement le monde». D'où ce statut d'écrivain-poète qui est sa marque propre. Avec lui, il est vrai, ainsi qu'il l'a déclaré, «la poésie est tombée dans la prose», et c'est un surcroît d'espace soudain accordé à l'écriture poétique.
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Ce petit ensemble de notes, écrites avec une grande liberté, se distingue de la production habituelle de l'auteur par une légèreté, une fantaisie, un humour qui peuvent surprendre. C'est là un petit livre qui ne se soumet qu'au caprice du rêve et à la poésie de la pensée sans entraves.
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«De Champollion, j'ai d'abord su qu'il n'était pas en Égypte avec Bonaparte ; que de la pierre de Rosette il n'a jamais vu que des copies plus ou moins fautives ; qu'il souffrait de la goutte et de ses pieds enflés comme ceux d'Oedipe ; qu'il entendait rugir un lion dans le nom de Cléopâtre, et qu'il s'évanouit devant son frère quand il eut trouvé le secret des hiéroglyphes... Puis j'ai su que pendant l'hiver 1827 on lui fit la lecture des romans de Fenimore Cooper, en particulier Le dernier des Mohicans. Je l'ai suivi sur cette piste romanesque, à travers une forêt qu'il cherchait peut-être à déchiffrer en même temps qu'il s'intéressait aux moeurs et aux coutumes des nations sauvages de l'Amérique». Gérard Macé.
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Ne se fiant qu'à sa propre expérience de lecteur, commencée tôt quand il découvre le « dialogue entre un prêtre et un moribond », Gérard Macé approfondit tout au long de sa vie, avec une parfaite liberté intellectuelle, sa vision de l'oeuvre du divin marquis.
Aussi, dans l'immense bibliographie sadienne, cet essai paraît placé sous le signe de la modération, de l'approche calmée, tâchant d'envisager toutes les facettes de la vie et de l'oeuvre. Le Sade que nous propose Gérard Macé est un neveu de Montesquieu et de Voltaire.
Laissant de côté les commentaires de ceux qui se sont penchés sur le « grand seigneur méchant homme » - tout en saluant le travail fondateur de Gilbert Lely, par exemple - il prend soin de nous peindre la face aimable de Sade.
Il en résulte un ouvrage imprégné du meilleur des Lumières où il n'y a ni procès, ni maniement d'encensoir : Gérard Macé insiste sur la curiosité inlassable de Sade et le montre à la fois anthropologue et ethnologue avant la lettre, comprenant les moeurs et les coutumes de peuples considérés comme sauvages. Guidé par un athéisme qui exclut tout dogme et idée préconçue, Sade privilégie l'habitude en ennemi de la nature. Quant à la sexualité, elle lui permet de développer une imagination qui n'a jamais été égalée... Il reste à ce jour un de nos grands auteurs modernes.
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Dans ce merveilleux petit livre, paru en 1987 chez Gallimard dans la collection « Le Chemin », Gérard Macé relit le grand oeuvre de Proust en y suivant le fil du nom de Fortuny, célèbre couturier de Venise et seul artiste vivant qui figure dans La Recherche. Ce nom, et le manteau offert à Albertine par le narrateur (et dont le modèle figure sur un tableau de Carpaccio), va lui servir de Sésame pour une lumineuse et féconde méditation, où s'entre-tissent, comme dans un tissu oriental, les motifs du « manteau d'Albertine », de la robe « couleur du temps » de Peau d'Âne, le costume d'Esther et les voiles de Shéhérazade. Le manteau de Fortuny y devient tour à tour métaphore de la mémoire, ou du livre lui-même, dans lequel s'enveloppe son créateur. Le miracle, c'est que, sans pastiche aucun, Gérard Macé réussisse à se hisser à la hauteur du livre qui l'a fasciné, par la beauté de son écriture aussi bien que par la subtilité des échos qu'il y découvre et multiplie, et à nous donner un plaisir de lecture comparable à celui que nous avons pris à son modèle.
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Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
Gérard Macé
- Le Bruit Du Temps
- 18 Février 2015
- 9782358730761
Dès le premier poème, qui donne son titre au recueil, consacré au poète aveugle à l'origine de notre tradition européenne, Gérard Macé place son recueil sous le signe d'un autre royaume, où tout est inversé. La poésie est fille de la nuit, comme les songes (ou comme le 7e art : plusieurs poèmes témoignent ici du goût de Gérard Macé pour le cinéma), elle naît de l'obscurité.
Le royaume est aussi celui de la vision. Mais la figure d'Homère pourrait aussi évoquer, aux yeux du lecteur, un autre écrivain aveugle, plus proche de nous, Borgès qui, de même, entretisse inlassablement les images, les récits qu'il tire de sa mémoire de lecteur. Le poète est aussi un conteur qui redonne inlassablement vie à des écrits antérieurs qui se font écho dans notre mythologie personnelle, où les enfants de La Nuit du Chasseur rejoignent la figure d'Ophélie dérivant au fil de l'eau. Avec ces poèmes écrits dans une langue musicale, d'une grande simplicité, nous entrons sans peine aucune dans un monde où les frontières s'effacent, nous passons du personnel au légendaire : ainsi une chaussure oubliée sur le trottoir évoque-t-elle tour à tour Empédocle et Cendrilllon ; ainsi les souvenirs d'enfance nous reconduisent-ils à un monde qui était celui des prophètes. Et un peintre « naïf » comme Aloïse a ce même pouvoir de créer un théâtre intérieur, où deviennent visibles les forces cachées à l'oeuvre derrière cette mythologie.
Dans la seconde partie, « Les restes du jour », les poèmes sont simplifiés à l'extrême, réduits à une ou plusieurs choses vues ou lues, à une ou plusieurs images qui déclenchent la rêverie, à la manière d'une phrase musicale qui résonnerait très longtemps en nous. Dans l'ultime section du recueil, « La fin des temps comme toujours », ils reprennent de l'ampleur, portés par « l'énergie du désespoir qui redonne la force de vivre ». Gérard Macé y donne la parole à la part de lui-même effarée par les horreurs de l'histoire et le spectacle présent d'un monde qu'il décrit au passé, comme pour mieux le tenir à distance, celui où « Enfermés dans des cages de verre, de puissants imbéciles à la voix douce, nous lisaient les images du jour ».
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Le mot « destin » que Gérard Macé fait figurer dans le titre énigmatique de son livre appartient tout autant à la mythologie qu'à la cartomancie, et par conséquent définit la double inquiétude d'un poète qui de longue date, entre fatalité et prédication, s'est enjoint d'ausculter par bribes l'enchaînement des scènes de l'enfance en même temps que leur inexorable déformation dans la boule, plus ou moins magique, du rêve. Ce faisant, il nous fait mieux comprendre aussi que l'écriture de soi ne peut être pour le poète qu'une projection fantasmée de la mémoire du monde, de ses rites et de ses fables.
Au seuil du livre, Macé s'impose de parler « comme on répond au sphinx » et publie quarante « mots de passe ». En les disposant chacun en quatrain de façon à associer en miroir des images présentant entre elles le plus grand écart, le poète semble avoir cherché, dans le sillage du surréalisme, à résoudre poétiquement les contradictions du réel. Et cela l'a conduit à établir comme poreuse la frontière entre les deux pans cardinaux de la vie humaine, l'éveil et le songe. Il s'est agi ensuite pour lui d'essayer de formuler « ici » la clé de l'énigme, qui tout en neutralisant la sentinelle du Temps lui permettrait de rouvrir un accès harmonieux vers le royaume des morts : « Une porte à tambour / pour entrer dans les rêves /L'esprit toujours léger /mais l'inquiétude au coeur. » L'un des charmes de ce recueil tient à la reprise de certains vers d'un poème à l'autre : des bribes de souvenirs, modulées discrètement comme autant de mirages, circulent des premières pages du livre vers les poèmes plus longs des deux dernières parties : « Images de la caverne » et « Sous les nuages de Magellan ». Signe de l'intense et mystérieuse combinatoire entre les éléments du réel, cette dernière section est la transcription d'un rêve quasi-nervalien que fit l'auteur « au cours d'une nuit d'octobre », et dans lequel il a justement rêvé avoir mis en vers un de ses propres livres paru chez Gallimard en 1995, L'autre hémisphère du temps. Mais à la différence des grands Voyants de la fin du dix-neuvième siècle, la poésie ne tombe pas dans la prose, c'est au contraire une certaine prose qui revient chanter là, apurée, dans le poème.
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« Comment devenir William Kentridge » : si un tel titre ne se lit pas comme une question il ne s'entend pas pour autant comme celui d'un recueil de préceptes sur les créations foisonnantes de William Kentridge. Aucune leçon, ici, de la part de Gérard Macé. C'est bien, tout au contraire, en regard de cette oeuvre si singulière où se mêlent les ombres de Méliès, les échos d'une flûte enchantée, ceux d'une fanfare aux allures de danse macabre et les pas grotesques d'un roi nommé Ubu, une invitation à la liberté, au pas de côté, « à n'en faire qu'à sa tête et à voler de ses propres ailes ».
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«Sous l'un de ses portraits, Nerval a écrit de sa main : Je suis l'autre. Cette formule, qui n'est pas moins troublante que celle de Rimbaud, Je est un autre, est sans doute plus dangereuse pour son auteur, dont l'identité vacillante est un trait constant de son génie poétique, mais l'entraîne dans la folie. Cette façon de se confondre avec un autre, jamais le même en apparence, est d'ailleurs à l'origine d'El Desdichado, l'un des plus beaux poèmes de la langue française, dont la musique est celle d'un chant funèbre en même temps qu'une paradoxale affirmation de soi. Des Illuminés à Aurélia, en passant par Les Filles du feu, les poésies allemandes et Les Chimères, j'ai interrogé à mon tour un portrait de Nerval, le portrait changeant qu'il a laissé dans son oeuvre, et je l'ai complété par le témoignage d'un contemporain, si vraisemblable qu'il a le charme d'un propos saisi sur le vif, si peu connu qu'il a l'intérêt d'un inédit.» Gérard Macé.
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Dans la vie d'un lecteur, certains auteurs occupent une place à part - lectures inaugurales, compagnons de tous les jours, sources auxquelles on revient.
La collection « Les auteurs de ma vie » invite de grands écrivains d'aujourd'hui à partager leur admiration pour un classique. Elle reprend le principe des « Pages immortelles », publiées dans les années trente et quarante chez Corrêa/Buchet Chastel : chaque volume se compose ainsi d'une présentation de l'auteur choisi ainsi que d'une anthologie personnelle.
Ces rencontres extraordinaires, ici partagées, sont pour le lecteur de belles occasions de relectures ou de découvertes. « L'odeur de soufre s'était largement évaporée quand j'ai lu les Fleurs du mal pour la première fois. Un demisiècle plus tard, je suis sûr que le livre de Baudelaire, rouvert tant de fois depuis, m'a fait comprendre assez vite que la littérature, et singulièrement la poésie, agrandissait le réel. Baudelaire était bien ce magicien ès lettres » dont il parle dans sa dédicace à Théophile Gautier. Magicien et savant, tour à tour ivre de ses pouvoirs et mélancolique, accablé par la malchance, désigné par le sort pour être un génie malfaisant, qui épouvante sa propre mère. Jeune lycéen, comment ne pas être sensible à cette prose, à cette provocation, alors qu'on exagère tout et qu'on ne veut croire à rien ? »
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Scène de naufrage : tel est le titre initial du tableau que Géricault peignit en 1819, le Radeau de la Méduse, une toile dont personne ne voulait, qui fit scandale et qui s'abîma elle aussi dans un naufrage : craquelures, boursouflures, coulures. C'est en effet, immédiatement, une lente mais très sûre décomposition du tableau, une gangrène des pigments bitumés qui plonge la toile vers le noir. Deux peintres alors, au tout début du second Empire, recopient le tableau, grandeur nature, pour conserver le chef-d'oeuvre de Géricault...
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«Le colporteur apportait autrefois, de village en village, des livres et des colifichets, de la mercerie, des calendriers, des images pieuses, des remèdes de bonne femme et des plans sur la comète. Il jouait le rôle de libraire ambulant, qui faisait circuler les nouvelles et prodiguait des conseils. Je reprends à mon compte cette figure de vagabond qui sait lire, de Juif errant incrédule, qui a vu le monde et même voyagé dans le temps. Dans ma besace de lecteur et de promeneur, je propose donc des livres que j'aime, des vers et de la prose, des images savantes et populaires, des commentaires mêlés de rêveries, et même des histoires brèves. Sans autre but que de partager mon plaisir, et quelquefois mes indignations.» Gérard Macé.
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La pantomime, le cinéma muet, le cirque : ces trois spectacles sans paroles (mais pas toujours silencieux) sont loin d'être privés de sens, même si le visage, les gestes, le corps tout entier s'expriment en se passant de tout discours, ce qui dans le monde d'aujourd'hui est presque une forme de résistance. Ces trois arts si proches de l'enfance à proprement parler, puisqu'ils sont muets, proposent d'autre part un traité du style et de la composition, car l'impeccable enchaînement de leurs figures est un savant dosage d'audace et de rigueur, de mémoire et d'improvisation. Ce ne sont pas pour autant des refuges à l'abri des violences de l'histoire : sur la scène, l'écran ou la piste, la réalité fait parfois irruption comme un courant d'air déséquilibrant les funambules que nous sommes ou comme une bête fauve dévorant les dompteurs que nous prétendons être.
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«Le temps, c'était donc lui la figure de proue à l'avant de tous les navires, monstre ou sirène aux formes lisses dans le vent du départ, visage mouillé de larmes après avoir essuyé les tempêtes, vieux bois vermoulu survivant à tous les naufrages et flottant à la fin sur les eaux de la mémoire.C'est lui qui fait courir les nuages et qui gonfle les voiles, qui se retourne et s'enroule sur lui-même en orient, qui lance des vaisseaux dans un sens et dans l'autre l'autre, les fait danser entre la lune et la marée, accompagne nos musiques et le compte des syllabes, les brèves et les longues se succédant par vagues.»
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«La nuit qui retouche les portraits (qui change les vers en prose et le rêve en fait divers), la nuit à l'oeil louche a glissé sous ma porte la photo agrandie des morts : des oiseaux aveuglés par le jour, des épouvantails en costumes du dimanche, et derrière un comptoir en bois des îles un Baudelaire à la beauté créole, à la chevelure crantée comme sur une photo de Carjat. Puis tous ceux qu'on montre du doigt quand on ne sait plus leur nom, comme des étoiles mortes ou des cousins par alliance : l'homme au front dégarni, la femme en col de fourrure, l'enfant rêveur dans son manteau d'hiver.
Dans la chambre noire où la mariée devient veuve, et les garçons d'honneur de drôles de fantômes au bras d'éphémères demoiselles, j'ai vu des têtes préparées pour la mort au milieu de chemises blanches, et la ramure d'un cerf dans le papier à fleurs. Sans meute ni rabatteur, la mémoire aime chasser dans le noir et rapporter des proies vivantes, des massacres ornant les murs de nos chambres et le dessus de nos buffets.» Gérard Macé.