Les gestes " [...] réunit une série d'essais qui veulent voir jusqu'où on peut aller en partant du geste à la recherche de l'homme. Il se peut que la direction prise ne soit pas la bonne, ce ne sont que des essais. Mais il montre que l'on peut aller très loin, qu'on peut avoir des surprises " (Vilem Flusser). Si Vilem Flusser a connu une reconnaissance internationale - il est traduit depuis longtemps en plusieurs langues et son oeuvre complète est une référence dans le champ théorique allemand - il est fort peu connu et traduit en France. Les Gestes est l'un des rares livres de l'auteur écrit directement en français. Il synthétise une réflexion qui se développe entre 1948 et 1990 et il apparaît comme un événement majeur dans la réflexion sur les arts visuels.
Ecrire, détruire, faire l'amour ou fumer la pipe : l'existence humaine se manifeste par des gestes. Vilém Flusser les décrit pour poser un certain nombre de questions classiques de philosophie : quelle place occupe l'art dans nos vies, quelle relation au monde et à autrui entretenons-nous ? Ce recueil vaut autant par les gestes abordés que par l'originalité de la démarche, en d'autres termes par le geste de l'auteur. Il ne force pas le trait, mais laisse chacun libre de se reconnaître ou non dans ses propos.
Flusser distingue trois grandes catégories de gestes : les gestes contre le monde (le travail), les gestes vers autrui (la communication) et les gestes comme fin en soi (l'art). Et si chaque geste est une synthèse des trois, l'exemple du travail montre qu'un geste peut en dominer d'autres et en définir la forme. Tout comme il y a une histoire humaine, il y a donc également une histoire des gestes. Ainsi, si l'on ne parle plus du geste de fumer la pipe quand on parle de l'art, c'est que " nous ne vivons pas pour vivre, mais pour changer le monde ". L'art est dans nos existences historiques " un geste de travail (chercher à faire une oeuvre) ou bien un geste de communication (chercher à informer) ". La prégnance du travail traduit une révolution d'intérêt que Flusser évoque longuement à travers le geste de la recherche, geste qu'il considère comme le modèle de tous nos gestes. Ayant pris la place du geste rituel au Moyen-Age, la recherche scientifique ne cherche pas une chose perdue, mais " n'importe quoi ". Visant une connaissance objective, pure et sans préjugé, elle s'est d'abord bornée aux objets inanimés (d'où ses débuts par l'astronomie et la mécanique). Or explique l'auteur, cette façon de chercher est en crise : " la nature bourgeoise est en expansion (.). Elle a avalé, au cours de l'âge moderne, les êtres vivants, l'esprit humain et la société (la biologie, la psychologie et la sociologie ".