On l'appelle " corde du diable ", " écharde du souvenir " ou " frontière brûlante " : comment le fil de fer barbelé, outil agricole ingénieux, est-il devenu cet outil politique, symbole universel de l'oppression ? En évoquant le rôle décisif du barbelé dans trois des plus grandes catastrophes de la modernité - la conquête de l'Ouest et le génocide des Indiens d'Amérique, la boucherie de 14-18 et les exteuninations nazies -, mais aussi en dressant une cartographie de ses usages actuels (propriétés privées, prisons, frontières " chaudes " du globe), Olivier Razac analyse, dans la lignée de Foucault, la violence croissante à l'oeuvre dans la gestion politique des espaces et des populations.
Il révèle ainsi un principe paradoxal : le succès persistant du barbelé vient précisément de ce qu'il ne tient qu'à un fil - de son austérité et de sa simplicité. La plus grande violence n'est pas forcément impressionnante, bien au contraire : les meilleurs outils d'exercice du pouvoir sont ceux qui dépensent le moins d'énergie possible pour produire le plus d'effets de domination. Le barbelé, lui-même " mur virtualisé ", a ainsi ouvert la voie à des dispositifs de contrôle de plus en plus immatériels, dont la vidéosurveillance et le bracelet électronique sont les derniers avatars...
Olivier Razac s'interroge ici sur le destin des sociétés de contrôle dans le monde contemporain. Sa recherche, inspirée par les travaux de Michel Foucault, Gilles Deleuze et Félix Guattari, s'attache à des objets triviaux (le bracelet électronique, le GPS, telle émission de téléréalité) pour en faire de véritables objets de pensée.
Nous serions ainsi passés dans une société de contrôle. Un nouveau monde dominé par des technologies nouvelles permettant d'inventer des manières de gouverner et d'être gouverné inédites. Ces changements radicaux impliqueraient un renouvellement total de nos catégories de pensée qui resteraient construites sur des concepts dépassés. La question politique ne serait plus celle de la loi, ni celle de la norme, mais celle de la régulation en temps réel des comportements dans une grande boucle cybernétique de rétroaction. Dit comme cela, la notion de contrôle provenant des philosophies de Deleuze et de Foucault a l'apparence d'un « mythe » politique qu'il serait urgent de déconstruire. Nous proposons ici autre chose. Ne pas céder à la séduction du « plus jamais comme avant », pas non plus à la facilité du « rien de nouveau sous le soleil », mais proposer de mettre le concept de contrôle au travail, au service d'une « analytique critique de la politique ». À partir d'une distinction conceptuelle de trois technologies politiques - la souveraineté, la discipline et le contrôle - nous montrerons comment elles s'articulent toujours dans des dispositifs de pouvoir concrets : d'enfermement, de surveillance électronique, de gestion des risques criminels et de gouvernementalité algorithmique. Dans ces configurations, notre problème n'est donc pas d'être gouvernés « au contrôle », mais d'être à la fois punis, normés et régulés. Éclectisme qui dessine un régime de domination proprement postmoderne caractérisé par la saturation et les injonctions contradictoires entre nouvelles et anciennes manières de gouverner.
À la fin du XIXe siècle, un nouveau genre d'animal trouve sa place dans les zoos occidentaux : l'homme «sauvage» d'Afrique, d'Océanie ou d'ailleurs. Dans un décor de cases et de palmiers, Pygmées et Canaques sont exhibés au public. Ce qu'on attend de ces corps domptés et enfermés derrière des grilles, c'est justement d'offrir le spectacle d'une nature intacte.
Des zoos humains d'autrefois aux shows télévisés d'aujourd'hui, des expositions coloniales à Loft Story, Olivier Razac met au jour une étrange proximité. Ce n'est plus le sauvage domestiqué qu'on expose, c'est la vie quotidienne des «gens authentiques». De même qu'il s'agissait de produire une image rassurante de l'homme exotique, il s'agit désormais de domestiquer nos vies.
«Voir et être vu» : tel est ce mode d'exposition des corps où l'acteur et le spectateur tendent à se confondre. De ces nouveaux éclairages sur l'histoire du spectacle, Olivier Razac tire une stratégie de riposte à la standardisation et aux mimétismes contemporains.
La médecine protège un corps machine contre des accidents, des dangers et des risques. Envisagé ainsi, ce corps se voit plongé dans le temps oppressant de l'attente, de l'usure et de la prévision. Sa vie est minée par une mort omniprésente qui la grignote et une mort impensable qui la clôt. La grande santé, elle, s'exprime dans un rapport particulier à la dépense où le sacrifice joyeux vient remplacer la comptabilité inquiète ; une pensée du temps qui ne suit pas la pente de l'Inévitable dégradation mais s'éternise dans l'instant présent ; une pensée de la mort qui n'est plus l'usure fatale du corps contre laquelle on lutte sans jamais gagner, mais la décision affirmative de la haute puissance. Dès l'antiquité, la philosophie stoïcienne montre que la santé ne dépend pas de nous et que seule une extrême tension de l'âme peut permettre de se maintenir au-dessus de l'accident qu'est la maladie. La puissance éthique de cette philosophie, comme celles de Nietzsche et Deleuze bien plus tard, consiste à faire vaciller l'évidence d'une santé triste qui nous fait entièrement dépendre des caprices du destin. Ces philosophes pensent un corps qui ne se constitue qu'à travers des épreuves et des expériences périlleuses. Ce corps vit un temps immédiat et infini. La mort n'est rien pour lui, sauf une autodestruction qui est l'essence de la vie. Il s'agit d'interroger ces pensées, contre l'obsession mortifère très contemporaine de la conservation de sol et, pourquoi pas, de redécouvrir une vitalité joyeuse.
Ce livre est né de la volonté d'interroger quatre pratiques différentes de la philosophie de terrain, c'est-à-dire d'un rapport empirique de quatre chercheurs aux situations concrètes à partir desquelles la pratique de l'entretien ou de la relation va leur permettre de questionner un certain nombre de réalités sociales et politiques contemporaines.
Si le terrain appartient traditionnellement aux méthodes des sciences sociales, la philosophie contemporaine, depuis les années 2000, a commencé à le réinvestir. Et les quatre auteurs font partie de ceux qui revendiquent, de façons diverses, une telle entreprise. C'est cette diversité même qui les a poussés à se réunir.
Cet ouvrage ne vise donc pas à homogénéiser leurs pratiques, mais au contraire à en faire valoir l'hétérogénéité, c'est-à-dire la richesse et la pluralité que peut engager un rapport philosophique au terrain. Ce livre ne risque pas non plus d'épuiser une telle hétérogénéité : bien d'autres rapports philosophiques au terrain sont possibles, et actuellement réalisés par d'autres qu'eux.
Enfin ils souhaitent, sous un format relativement court et accessible, présenter directement la manière dont, chacun, ils ont été plongés dans le terrain, travaillés et questionnés par lui avant même de pouvoir le questionner eux-mêmes, à partir de quatre champs d'investigation différents :
- une réalité sociale reconfigurée par l'impact politique des migrations dans le Calaisis - une réalité judiciaire dans les configurations internationales de la guerre en ex-Yougoslavie - une réalité pénitentiaire pensée à partir de ses acteurs en France - une réalité d'engagements à partir de la situation économico-politique de la Grèce.
Ces quatre champs d'investigation suscitent eux-mêmes quatre modes d'approche différents :
- l'immersion - l'observation combinée aux entretiens et au travail d'archives - l'enquête par le biais de la position enseignante - l'association des entretiens à la réflexion esthétique.
Leur petit nombre réfute évidemment toute volonté d'exhaustivité. Et le caractère singulier de chacun de leurs terrains dit qu'ils ont souhaité embarquer le lecteur dans quatre aventures intellectuelles différentes, questionnant chaque fois le rapport de la philosophie au terrain par des abords spécifiques et renouvelés. En se réunissant, ils ont souhaité à la fois attester de cette pluralité à partir du récit de l'analyse de chacune de leurs expériences, et en dégager ce qui les lie à cette constellation commune qui a pris le nom de philosophie de terrain.
La singularité de cet ouvrage est de laisser pleinement la place à la parole des premiers concernés. Le sens de la peine dans les démocraties libérales est problématique parce qu'il repose sur nombre de logiques hétérogènes, encore plus marquées dans le cas de la probation censée prévenir la récidive par un accompagnement hors de la prison.
À partir de 46 entretiens avec des personnes condamnées, les auteurs, par ce travail de recherche, permettent de mieux appréhender le sens que prend l'éclectisme pénal. Isolement social, menace de l'incarcération, aggravation des conditions d'existence, ineffectivité de la peine. Mais si la peine ne sert à rien, comment peut-elle avoir une utilité sociale ?