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Fayard
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L'oeuvre de Norbert Elias apparaît peu à peu comme essentielle pour comprendre la trajectoire de longue durée de la civilisation occidentale. Elias rédigea les trois essais qui composent cet ouvrage entre l'avant-guerre et 1986, un demi-siècle au cours duquel, toujours attentif aux transformations du monde contemporain, il ne cessa de réfléchir aux rapports de la société et de l'individu.L'idée centrale qu'Elias développe ici est que les individus sont liés les uns aux autres par des liens de dépendance réciproque et que ceux-ci sont comme la matrice constitutive de la société. C'est sous l'effet de cette imbrication que les comportements se sont modifiés au fil des siècles. L'idée moderne de l'individu _ cet idéal du moi qui veut exister par lui-même _ n'est apparue en Occident qu'au terme d'un long processus, qui est indissociable de la domination des forces de la nature par les hommes et de la différenciation progressive des fonctions sociales.L'individu et la société ne sont donc pas deux entités distinctes, et leur rapport ne se pose pas aujourd'hui comme avant la guerre. La dépendance croissante des Etats les uns à l'égard des autres place les hommes dans un processus d'intégration au niveau planétaire. La création des Nations Unies et de la Banque mondiale en a été l'une des premières expressions. Le développement d'une nouvelle éthique universelle et, surtout, les progrès d'une conscience d'appartenance à l'humanité tout entière en sont des signes évidents. Mais nous ne sommes qu'au tout premier stade de ce processus d'intégration. Une chose est certaine: " Il ne peut que renforcer l'impuissance de l'individu face à ce qui se déroule au niveau supérieur de l'humanité. ".
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Montres, agendas, horaires: le temps semble être une contrainte à laquelle nul ne peut échapper. Notre conscience du temps est si intériorisée que nous avons du mal à imaginer que des groupes humains aient pu vivre sans calendrier. Nous avons le sentiment que " le temps passe ", alors qu'en réalité ce sentiment de passage concerne notre vie elle-même, ou les transformations de la nature ou celles de la société. Le temps n'existe pas en soi, affirme Norbert Elias, ce n'est ni une donnée objective, comme le soutenait Newton, ni une structure a priori de l'esprit humain, comme le soutenait Kant. Le temps est avant tout un symbole social, résultat d'un long processus d'apprentissage. Il a fallu des millénaires pour que la notion de temps en vienne à représenter une synthèse de très haut niveau. Quelles unités de référence les hommes ont-ils pris comme repères temporels? Dans quel but ont-ils eu besoin de déterminer le temps? Comment la conscience du temps a-t-elle fini par devenir une seconde nature? Dans cette vaste exploration de l'expérience du temps au cours des âges, Norbert Elias nous invite à réfléchir sur un aspect fondamental du " processus de civilisation ".
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Témoignage émouvant que les souvenirs de l'un des plus grands penseurs de notre temps, qui est mort l'été 1990 à l'âge de 93 ans, et qui surmonta les épreuves de l'exil grâce à sa certitude d'" être capable de faire quelque chose de nouveau ".Le destin de Norbert Elias commence à Breslau, dans une famille juive aisée où il fait l'apprentissage de la culture allemande classique. Au lendemain de la guerre (Elias servit sur le front), il entreprend des études de médecine et de philosophie, mais, après des démêlés avec son directeur de thèse, il se convertit à la sociologie et s'intalle à Heidelberg. En 1930, Karl Mannheim lui propose de le suivre comme assistant à l'université de Francfort: " C'était une époque extrêmement féconde d'un point de vue culturel... Nous ne nous doutions pas que ce qui nous attendait était plus qu'un déplacement des rapports de force sur le plan parlementaire. "Au printemps 1933 Elias fuit l'Allemagne et part pour Paris. Faute de trouver un poste à l'université, il doit quitter la capitale et se fixe à Londres. Grâce à l'aide que lui accorde un comité de réfugiés juifs, il élabore alors son livre sur le " processus de civilisation ", sans doute l'un des livres majeurs du XXe siècle. Mais cet ouvrage passa presque inaperçu dans une Europe hantée par la guerre et ne fut découvert en France que dans les années 1970. Entre-temps Elias enseigna la sociologie à l'université de Leicester (1954-1962), puis au Ghana. Finalement il s'établit à Amsterdam où il continua à travailler à de nombreux livres et essais.Au terme de sa longue vie qui se confond avec le siècle, Elias confiait: " J'avais l'ambition de développer une image de la société qui ne soit pas idéologique. Un objectif ambitieux, que je n'ai atteint que partiellement, ce qui m'attriste un peu, car je ne suis pas sûr que d'autres poursuivront mon travail. ".
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Ce livre s'inscrit de plain-pied dans les débats qui traversent encore toutes les sciences sociales, en particulier l'histoire. Avec une question centrale: peut-on utiliser les modèles forgés par les sciences exactes pour rendre intelligibles les processus sociaux?
Analysant les difficultés propres à toutes sciences humaines, Elias montre, entre autres, que les configurations sociales ne peuvent être comprises à partir de la représentation atomiste du moi séparé, de l'individu indépendant. Il montre également les dépendances qui lient les savoirs sur la société aux jugements, aux engagements des chercheurs. Ce n'est qu'en objectivant sa propre position que le chercheur est à même de pratiquer le " désenchantement émotionnel " qui sépare le savoir " scientifique " des préjugés.
Elias peut ainsi définir la tâche de la sociologie du savoir: repérer comment les appartenances, les intérêts des uns et des autres déterminent non seulement les prises de position idéologiques, mais aussi les pratiques scientifiques les plus neutres, les décisions les plus techniques.