« Une chronique, par un témoin de premier plan, allant de 2018 à 2020, relatant l'installation de David Hockney en Normandie pour y peindre « L'Arrivée du Printemps ». La sortie de cet ouvrage coïncidera avec une importante exposition d'oeuvres de l'artiste à la Galerie Lelong & Co. à Paris le 15 octobre ».
La version inédite complète d'un entretien réalisé en 1986 avec le grand artiste américain (1914-1999) originaire de Roumanie et devenu mondialement célèbre pour ses superbes couvertures du New Yorker.
À l'école, en Roumanie, j'avais un uniforme militaire et un matricule, de sorte que j'avais l'impression que n'importe qui pouvait relever mon numéro et me dénoncer. Être juif en Europe, c'est savoir que la géographie et l'histoire sont provisoires, c'est aussi être toujours prêt pour l'émigration. Or l'émigration a des vertus, c'est comme une renaissance, on peut ainsi avoir une deuxième, une troisième, une quatrième vie. En se mettant dans la position inconfortable de l'immigrant, on retourne à l'enfance. Parmi mes nombreuses vies, il y en a une qui a duré très peu, environ un an, à Saint-Domingue. Je me considère comme mort à l'âge d'un an à Saint-Domingue.
Fables, souvenirs, choses lues, vues, transposées ou inventées, les textes et les histoires rassemblés ici ont pour thème commun le portrait, les portraitistes et les portraiturés. Plotin déjà mettait en garde contre ce vilain usage de laisser derrière soi une image de notre apparence, mais nous n'avons pas cessé pour autant de nous livrer au besoin de repousser la mort par l'image.
On croise dans ce livre Elisabeth Vigée-Lebrun et les ambassadeurs de l'Inde, Le Bernin occupé au buste du Roi-Soleil, Lucian Freud et la reine d'Angleterre, la déchéance de Maurice Quentin de La Tour, les multiples incarnations de Quasimodo, les rides de Sofonisba Anguissola, le regard des portraits du Fayoum, Picasso saluant la mémoire de Monsieur Cézanne, la lumière de Lubin Baugin et de Zurbaran, Albert Dürer faisant le portrait d'un rhinocéros qu'il n'a jamais vu, Gauguin peignant Van Gogh dans l'exaltation des tournesols, David Hockney et Marcel Proust à Cabourg, la générosité d'Alexandre le Grand envers Apelle, les miroirs de Louise Bourgeois, le Christ en personne, Rembrandt par lui-même, Cy Twombly portraitiste, Martin Luther dans tous ses états, l'empereur de Chine ennemi des ombres.
Jean Frémon se fait conteur. Il raconte le portrait amputé des époux Manet par Degas, ou comment un jeune peintre chinois invente le portrait du pouvoir en lui donnant pour la première fois le visage de celui qui le détient.
C'est clair, d'un crayon, Hockney fait ce qu'il veut. Mais il ne fait pas ce qu'il ne sait pas vouloir. Qu'un savoir, une technique, lui ouvre une nouvelle méthode, il s'y engouffre aussitôt avec avidité et la fait sienne. Ce qu'il en tire est toujours du Hockney, reconnaissable au premier coup d'oeil, mais un Hockney nouveau, frais, inventif, en phase avec le monde qui l'entoure. Tant qu'il invente du nouveau, Hockney s'amuse et tant qu'il s'amuse, il ne nous ennuie pas. Sa passion de regarder (le paysage, les amis) devient notre passion de regarder (son tableau).
Les grandes oeuvres frappent d'abord par leur capacité de rupture. Elles semblent accélérer le temps, périmer ce qui les précède.
Leur façon de s'inscrire dans le présent, de l'occuper, est de reléguer le passé, de le marquer comme tel, de le mettre à distance. Cela dit, il est aussi possible d'a?rmer le contraire. A partir des grandes oeuvres et de la rupture qu'elles instaurent, on peut relire l'histoire, éprouver les liens nouveaux qui se sont tissés.
«J'in?uence mes prédécesseurs» n'est pas qu'une boutade. Cela veut dire, je change la grille de lecture. Proust ajoute à Saint-Simon en lui empruntant. Cézanne, après les cubistes, n'est plus le même. Les grandes oeuvres sont aussi celles qui font changer le discours.
Elles périment une manière de peindre, elles périment aussi une manière de parler de la peinture. Ryman oblige le commentateur à des révisions déchirantes.
Où l'on croise, aux côtés de Samuel Beckett, James Joyce, Bram van Velde, Alberto Giacometti et Robert Ryman.
Un orthodoxe athée des Balkans, qui garde de son Pirée natal la passion des cargos et de leurs cargaisons : charbon, pierres, café, grains, empilements de sacs ...
La nécessité du voyage. Pour un Grec, dit-il, la question de partir ne se pose pas ; se pose seulement la question de savoir dans quelle direction, vers l'orient ou vers l'occident.
Un Romain d'adoption qui dit «Ce que veut dire être italien : épouser les causes perdues», et ajoute, «il suffit de regarder un Caravage pour comprendre la Contre-Réforme».
Les dessins des dernières années de Louis Soutter portent en eux une énergie contagieuse. OEuvres de l'enfermement et de la frustration, elles ouvrent et questionnent. OEuvres d'un homme envoûté, elles sont envoûtantes. Tracées à l'encre de chine et le plus souvent du bout des doigts, sans plume ni pinceau, comme en prise directe sur le système nerveux, ce sont des figures, hommes et femmes, souvent de profil, des silhouettes sans ombre, ombres elles-mêmes, marchant, courant, trébuchant, vers l'inconnu mais avec la certitude de l'inéluctable. Ces formes élémentaires ont des proportions telles que le geste du bras du dessinateur assis est naturel, libre d'improviser. Peu de couleurs, souvent le noir seul, pas de profondeur illusoire, tout se passe sur le plan du papier. Au fil des années, j'ai passé du temps à les regarder, dans des livres, dans des musées, dans des collections privées. Un beau jour ils se sont mis à parler en moi, je n'ai fait que les écouter, accompagner leur litanie syncopée.
Des contes, des fables, des apologues, des anecdotes, inventées ou recopiées, qui ont en commun le regard porté sur les choses et les êtres par ceux que les images fascinent et qui en font profession.
Des portraits imaginaires de peintres qui ne sont pas sans rapports avec leurs doubles réels. Pêle-mêle, Mondrian coupable d'aimer les fleurs, Pontormo le reclus, David Hockney touriste hors pair, Gilles Aillaud et les éléphants, le coup de pinceau de Roy Lichtenstein et ses avatars, Picasso visité par le diable, Beckett entre un poisson rouge et un perroquet, Raphaël donnant une leçon de dessin, le vieux canasson modèle de Géricault, le singe de la Grande jatte, Saenredam et la géométrie, un chiot qui pisse devant la crèche de la nativité, le rêve secret d'Yves Klein, la main légère de Pierre Bonnard.
Une même passion les obsède tous : regarder le monde et en faire des images desquelles la vie ne soit pas absente. Cela s'appelle la grâce, elle est fragile mais sans elle, rien.
Une grande Nativité d'un seul tenant, avait dit le chanoine, la mode n'est plus aux retables historiés. Pour la chapelle du Palais, vous viendrez prendre les mesures. Ou bien une Adoration, avec bergers ou mages, si vous préférez, avait ajouté le chanoine, mais pour le même prix. Ce n'est pas au nombre de chevaux ou de chameaux que l'on comptera votre écot, mais à la manière dont vous saurez rendre visible la divinité incarnée.
«Il y a bien un peintre qui le premier a décidé de peindre Jésus nu et il y a à cela des raisons sérieuses et c'est de cela que je parle. Et je crois fermement que c'est bien dans l'entrejambe de l'enfant que le Roi regarde sur un grand nombre d'Adoration des Mages de la Renaissance» : à la suite du Double Corps des images, ce court récit est traversé par l'ambiguïté de la figure et de sa représentation dans l'art.
C'est un monologue intérieur, Louise Bourgeois parle, se parle, passe en revue des bribes de sa longue vie, dans le désordre.
Tout est ici imaginaire, ce n'est pas une biographie. Mais tout est plausible, les humeurs, les saillies, les ressentiments, les pudeurs.
C'est le portrait, de mémoire, d'une femme qui a voué sa vie à son art, une vie qui se confond avec le siècle, et a été reconnue tardivement comme l'une des artistes majeurs de notre temps. C'est drôle, touchant, empathique, respectueux et documenté.
Le livre de Jean Frémon est résolument une fiction. Il exprime de l'intérieur à la fois les tensions tragiques confinant à la névrose et les légèretés enfantines de l'un des plus grands artistes du siècle.
« Que ce soit «sur l'art» ou non, j'écris le dimanche. En semaine, je suis marchand d'art, galeriste, comme il se dit aujourd'hui. Je prépare des expositions dont je m'efforce de vendre le contenu ».
On ne dirige pas une galerie internationale depuis quarante ans, on n'est pas le marchand de Louise Bourgeois, de David Hockney, d'Antoni Tapiès et de tant d'autres par hasard, l'exercice est difficile et les qualités requises nombreuses. Cependant, chose étonnante parmi les grands galeristes contemporains, Jean Frémon est avant tout un écrivain et un poète. Sa pratique de la littérature lui donne une hauteur de vue, une sérénité unique dans la pratique de son métier pour accompagner des artistes dans la durée, avec fidélité, plutôt que de se contenter de voler aux secours d'éphémères victoires.
Pour qui veux ressentir l'atmosphère d'un atelier, comprendre ce qui unit parfois un artiste et son marchand ou ce dernier et un collectionneur, les textes de Jean Frémon sont une mine. Ils tiennent tout à la fois du témoignage, de l'essai, de la fiction et ils pratiquent ce que Aragon nommait le « mentir-vrai » pour dire davantage le sensible que le fait brut, le détail signifiant plutôt que la généralité pontifiante. Ici, dans une langue simple et généreuse, se partage un secret, celui que nous sommes nombreux à connaître mais que nous ne savons dire, celui qui unit tous ceux pour l'art est essentiel à la vie.
L'art d'aujourd'hui, quand il n'est pas seulement un aimable divertissement, reste hanté par un conflit engagé dès ses origines, bien avant même que l'art se pense comme tel : figurer-défigurer, produire de l'image ou bannir l'image, capter l'illusion de la vie ou se réfugier dans le sublime d'une vibration lumineuse. Désir d'image et haine de l'image sont indissociables. Nous voulons dire et taire à la fois, montrer et cacher, créer et détruire. Le règne des images est celui des passions violentes, mais c'est un monde d'où la vulgarité est absente, c'est rare; et que la grâce parfois visite.
Il rêvasse, il gromelle, il consulte les atlas, il récite le nom des lacs, il observe les insectes, il écoute le bruit des fontaines, il lit Leibniz. Ce personnage, désigné ici par les initiales d'un nom qui n'est pas vraiment le sien, n'est pas sans ressemblance avec l'écrivain Robert Walser. Il en est comme une émanation, un avatar, une ombre.