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Vincent Brault
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«Je pourrais me précipiter dehors, lui courir après, la rattraper. Mais je reste à l'intérieur. Je dis tout bas, comme si elle pouvait m'entendre, "allez, tourne la tête, Suzuko, allez, tourne la tête, regarde, je suis ici, regarde, tourne la tête". Mais elle continue son chemin comme si je n'existais pas.» Vincent, écrivain montréalais, a intensément aimé Suzuko, une célèbre artiste tokyoïte. Mais depuis que leur histoire s'est terminée, Vincent voit régulièrement surgir la silhouette de la jeune femme au détour des rues de leur quartier. Coïncidence ou illusion ? Quand l'écrivain rencontre Kana, il sent poindre entre eux une sensualité qui pourrait lui faire oublier sa mélancolie... à moins que le fantôme de Suzuko n'en décide autrement.
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«Je m'appelle Wiktor Kowalski et je suis mort le 7 février 1941. C'était pendant la guerre. Mais je n'y étais pas, à la guerre. C'était le milieu de l'hiver. La neige était folle, la terre dure. Le cadavre ne s'y est pas enfoui tout de suite. Il a fallu attendre la boue du printemps. Elle a rapidement avalé les doigts, puis la tête, le torse et le bassin. Les cuisses ont donné plus de mal, mais une fois ces deux gros morceaux engloutis, la terre n'a fait qu'une bouchée du reste. L'été arrivé, plus rien du cadavre n'était visible à la surface. Les herbes hautes, les marguerites et les quenouilles avaient repoussé. Le cadavre plongeait tête première en direction de je ne sais quoi. Mais je le laissais aller. J'avais confiance. Et puis non, je n'avais pas confiance du tout. » Le repos éternel est une vaine chimère pour le cadavre de Kowalski. Et pour la conscience qui l'habite toujours, c'est encore plus vrai. Une petite fille disparaît. Un cadavre sort de terre. Et Kowalski est le dernier à s'en étonner.
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